Le village de Tamejjout, d’abord situé à un endroit appelé Iguer-Ali, constituait par son alliance avec Agouni-n-teslent, ennemi juré de Taourirt, un perpétuel danger pour ce village. Ainsi les luttes furent-elles fréquentes, luttes au cours desquelles le village de Tamejjout, moins peuplé que celui de Taourirt, fut presque toujours le vaincu. Il lui fallait même, pendant sept ans, chercher refuge à Agouni-n-trdlrnt. Grâce à l’intervention des marabouts, les habitants de Tamejjout purent se réinstaller, non plus à Iguer-Ali, mais à l’emplacement actuel du village.
Deux épisodes sont particulièrement connus dans cette série de luttes : celui de la chienne de Taourirt et celui du cortège nuptial.
Un étranger, des Aît-Bou-Youssef, était de passage. Se présenta un jour à la tajmaït de Taourirt où il trouve les hommes du village assemblés.
- Il leur dit :
Je vous en prie. Donnez-moi quelqu’un pour m’accompagner et me faire traverser Tamejjout, j’ai entendu dire que ces gens-là sont des assassins et je crains qu’ils me tuent : si j’y vais seul, je n’en sortirai pas vivant.
- L’amin fronça les sourcils, réfléchit et, répondant à l’homme, dit :
Puisque c’est ton chemin, je vais te prêter une chienne. Nous, les responsables du village, nous venons à peine de commencer notre réunion et le soleil sera couché avant que nous n’en ayons terminé avec cette affaire. Suis la chienne : elle est intelligente. Tu n’es pas le premier qu’elle accompagne. Elle te fera traverser le territoire de Tamejjout et reviendra toute seule. Bon voyage. On se fait prendre qu’une fois : pour cette fois-ci, que dieu Dieu te permette de t’en tirer !
- L’homme répondit à l’amin :
Que dieu te benisse et te le rende. Tu me tires d’un grave embarras. Puisses-tu être toi-même délivré de tout souci. Je risquais la mort en pays étranger.
Ils se mirent en route et arrivèrent à mi-chemin de Tamejjout mais, tout près du village, il vit deux hommes venir à sa rencontre. L’un d’eux le retint pendant que l’autre courait au village.
Le voyageur avait blêmi : il avait déjà l’air d’un mort et ne pouvait plus dire mot : ses mâchoires étaient contractées quand les gens de Tamejjout bondirent avec un poignard, un autre avec un couteau de boucher, un autre avec un bâton, chacun avec ce qu’il avait sous la main. Pour, eux tout étranger était un ennemi. Ils le tuèrent en le frappant chacun de son arme.
La chienne ne s’éloigna pas tant qu’il fut vivant. On la souilla de sang et elle regagna l’assemblée de Taourirt où les hommes se trouvaient encore, aucun n’étant rentré chez lui.
Stupéfait, ils se dirent : N’est-ce pas évident qu’ils ont tué cet homme : la chienne est couverte de sang : allons la venger !
Chacun alors de saisir une arme : l’un, un pistolet, l’autre, un fusil, d’autres des matraques.
Ils se précipitent et arrivèrent alors que le corps était encore là. Ce fut une lutte terrible : on s’entre-tuait. Entre Taourirt et Tamejjout, soixante-cinq morts furent dénombrés à la fin de la rencontre.
Jusqu’à maintenant, Taourirt est appelée Taourirt-à-la-chienne parce que ses habitants n’ont pas jugé vain de la venger.
Note :
Dans le recueil de composition (Thèmes, questions de grammaire, version kabyle…) de la faculté des lettres de l’Université d’Alger, Alger, Jourdan, 1913, on trouve le récit de l’évenement, mais les conclusions sont moins flattant pour Taourirt (p, 140) :
L’homme des Aït Bou-Youssef s’en fut, accompagné de la chienne. En chemin, on lui dressa une embuscade et on le tua. L’homme des A¨t Mangellat qui lui avait offert l’hospitalité et lui avait fourni la chienne pour l’accompagner rassembla tous les gens du village afin d’aller combattre ceux qui avaient ainsi méprisé son droit d’ânaia. Mais voici qu’un vieillard de la tribu, homme sage, dit aux gens : Calmez-vous, mes amis, une chienne n’a pas d’ânaia. Les gens de Taourirt, confus, abandonnaient leur dessein de vengeance…
Un jour, un homme de notre village se fiança à une fille de Tamejjout. Quand vint le jour de l’amener chez lui, les gens de Taourirt allèrent la chercher en un cortège d’hommes et de femmes.
Lorsque celui-ci se présenta à Tamejjout, les femmes de l’endroit chantèrent à celles de Taourirt le poème que voici :
- Salut, ô femmes à la tête ornée d’un diadème !
- La fille que vous venez chercher,
- Sa mère l’a avalée hier soir.
- Salut, ô femmes aux bonnets flottant !
- Nous sommes les gens de Tamejjout,
- Qui faisons fi des droits des autres.
- La fille que vous venez chercher,
- Elle est au fond de la mer !
- Une vieille femme vint à l’endroit où se tenait Si-Lhadi :
Les femmes de Tamejjout ? lui dit-elle, nous en ont dit de belles ! - Il demanda :
Y avait-il quelqu’un pour répondre ?
Nous n’avons pas su, dit-elle, quoi leur répondre. - Il se leva immédiatement, revint à Taourirt et se rendit chez une femme qui relevait de couches, appelée Aouicha, des Ait-Hamlat :
Viens avec moi, lui ordonna-t-il.
Si-Lhadi, tu vois bien comme je suis ? (il y avait trois ou quatre jours qu’elle avait accouché.)
Prépare-toi : tu n’a rien à craindre, dit-il.
Sur le champ, après qu’elle se fut bandé le ventre, il la fit monter à mulet.
En arrivant à la tajmaït de Tamejjout, elle entonna :
- Sur vous le salut, nobles personnages
- Qui montez ici la garde.
- Faites-nous le passage.
- Que nous traversions Bab Eloued.
- La fille, nous l’emmènerons :
- Avec elle, ce soir, nous repartirons.
Arrivée à la maison de la mariée, elle y trouva les femmes auteurs de l’épigramme contre les femmes de Taourirt :
- Salut à vous dit-elle,
- Qui avait la langue si longue.
- C’est nous les gens de Taourirt,
- Bien établis sur la hauteur,
- Avec nos ennemis nous allons calmement :
- Mais, le temps venu, nous savons nous faire payer.
Ils emmenèrent la mariée.
- Une fois de retours chez eux, Sidi Lhadi ordonna :
Préparez-vous au combat maintenant.
Ce disant, il se mit à leur tête. Arrivés à Tiguemmi, ils rencontrèrent les gens de Tamejjout. La bataille s’engagea. Les habitants de Tamejjout perdirent sept de leurs. A Taourirt on chanta :